Plébiscité par bon nombre de professionnels, le portage salarial peine à trouver sa place dans le droit du travail. Si le nouveau cadre légal adopté en juin 2010 améliore la situation, plusieurs sociétés continuent d’abuser du système et de ne pas satisfaire aux obligations légales. De quoi appeler les salariés portés à redoubler de vigilance.Le désir d’indépendance professionnelle grandit au sein de la population active. Selon une enquête réalisée en 2010 par Kelly Services, un des groupes mondiaux leaders des solutions de ressources humaines, un tiers des salariés français expriment le souhait de devenir leur propre employeur et de travailler avec davantage d’autonomie. Un Français interrogé sur trois estime posséder les capacités nécessaires pour se lancer dans un projet professionnel.
Et 25 % d’entre eux pensent que leurs compétences individuelles feraient l’objet d’une forte demande sur le marché. Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi le portage salarial, une alternative répondant à ce besoin d’indépendance, suscite davantage d’intérêt. Quelque 50 000 personnes bénéficient de cette solution actuellement. Le portage salarial représente chaque année près de 500 millions d’euros d’honoraires facturés. Un marché qui fait le bonheur d’une multitude de sociétés de portage, comme ITG (Institut du temps géré) ou Himalaya Conseil.
Libre et protégéDepuis juin 2010, ce statut a pris une dimension supplémentaire avec la signature d’un accord interprofessionnel pour la création dans le code du travail d’une branche sur le portage salarial. Une avancée qui ouvre le champ au portage pour les travailleurs cadres et les prestations intellectuelles au sens large. Ce statut doit notamment être un moyen d’améliorer l’accès à l’emploi des seniors, une population qui connaît des difficultés à se maintenir et à évoluer de manière intéressante dans le salariat. “Mais lorsqu’ils exercent pour leur propre compte, ils sont avant tout vus comme des profils expérimentés dont les services sont très convoités”, constate Sébastien Bareau, directeur du développement de la société de portage salarial Himalaya Conseil. Les avantages pour le porté sont multiples. Il s’agit d’exercer en tant que consultant indépendant tout en profitant des atouts du statut de salarié. “Ce choix intermédiaire est une excellente solution pour les personnes qui souhaitent rester libres dans l’exercice de leur profession sans prendre les risques inhérents au statut d’indépendant”.
Entre marteau et enclumeMais aussi attirant soit-il, le portage salarial révèle une part d’ombre. Des syndicats de salariés ont maintes fois fait part de leur souhait de mieux protéger ceux qui utilisent cette forme atypique d’emploi. Ceux-ci en pointent notamment du doigt le fait que si les salariés portés cotisent à l’assurance-chômage, leur droit à indemnisation est contesté.
Autre élément souvent pointé du doigt : la pression exercée par le Prisme (la fédération patronale de la branche du travail temporaire) qui a été désignée par les pouvoirs publics pour réguler la profession. Grâce à son puissant réseau, la branche du travail temporaire tente au fil des années de récupérer le marché florissant du portage en attirant vers elle une population de cadres particulièrement rentable.
Le Prisme et les organisations patronales œuvrent de concert quant à l’évolution du statut. Si le portage salarial et l’intérim présentent des similitudes sur le plan juridique, il existe toutefois d’importantes différences dans l’approche et le rôle de ces acteurs. “Les entreprises de portage salarial sont tournées vers les intérêts des clients portés, alors que le travail temporaire est au service d’un employeur pour faire face à des besoins ponctuels”, estime le Sneps. Depuis 2010, les sociétés d’intérim doivent créer une filiale dédiée si elles souhaitent accompagner un travailleur dans le cadre du portage salarial. Mais la question de la pertinence de cet accompagnement, de la qualité du conseil et du soutien apportés, continue de se poser.
Précautions et vigilance de rigueurL’étude du cadre légal en vigueur est recommandée avant toute chose. L’accord de juin 2010 prévoit que seuls les salariés “disposant d’une totale autonomie dans la négociation de la prestation avec le client et dans l’exécution de cette prestation” peuvent contracter avec une entreprise de portage salarial.
Le texte estime que seules les personnes soumises à un statut de cadre peuvent justifier de cette indépendance. Une définition qui pose au moins autant d’obstacles qu’elle n’en lève. La Fneps a dénoncé un accord élitiste et discriminatoire.
En limitant la législation aux “cadres”, les signataires s’apprêtent à évincer plus de la moitié des professionnels qui ont recours au portage salarial. Le nombre de personnes potentiellement concernées se retrouve restreint à quelques dizaines de milliers de salariés, alors que, pour la Fédération, ce sont près de 500 000 travailleurs qui pourraient en profiter.
Le portage peut en principe parfaitement s’adapter aux domaines des services à la personne, aux architectes, aux artisans… Autant de professions qui sont maintenues dans un flou qui demande la plus grande vigilance. La nécessité d’obtenir une rémunération minimale de 2 900 euros bruts mensuels, c’est-à-dire une facturation supérieure à 4 500 euros, est une autre condition qui maintient de nombreuses activités à l’écart de ce statut.